L'Évangile aux soins de la psyché
La santé psychique est un enjeu qui me touche de près. Je suis passé, durant plus d’une décennie et demie, au travers du tordeur du système psychiatrique, à l’interne comme à l’externe. La présente réflexion s’inscrit donc dans mon expérience personnelle, ce qui, à mes yeux du moins, lui donne force de crédibilité. Ceci étant dit, je chercherai, jusqu'à un certain point, à effacer mon expérience personnelle derrière la théorie. Je n’ai aucunement envie de m’exhiber perversement, ni de fasciner quiconque (même si la santé psychique est un sujet en soi fascinant) ; je ne désire surtout pas attirer la sympathie pour ce qui s’est produit dans ma vie, dans laquelle est impliquée une tragédie dont j’ai été l’auteur, et dont les détails scabreux seront passés sous silence, par souci altruiste de ne pas sombrer dans le sensationnalisme, et par celui, égoïste, de préserver ce qui me reste de réputation. L’unique élément que j’ai envie de rajouter sur ce sujet particulier, c’est qu’en dépit du fait que je considère que je mérite la peine capitale pour mon geste, ainsi que les tourments de l'enfer éternel, j’ai été jugé non-criminellement responsable de mon crime, pour causes de troubles mentaux. Mon témoignage servira seulement de prétexte pour m’autoriser en filigrane à réfléchir sur le thème de la santé psychique. Peut-être, pourra-t-il donner un message d’encouragement à ceux qui souffrent.
Le mot « paranoïa » se définit étymologiquement par : la pensée (du grec « noûs »), à côté d'elle-même (du grec : « para »), ou encore : déviance de la pensée. Ce symptôme psychique se caractérise notamment par un sentiment de crainte généralisée. Le sujet paranoïaque interprète son environnement comme une menace omniprésente, voire omnisciente quant aux moindres mouvements de sa pensée. Le malade ne trouve alors nulle part où se cacher, et fuit dans toutes les directions devant un danger que lui seul perçoit (voir, à ce sujet, le poème de Victor Hugo : La Conscience, qui met en scène Caïn fuyant devant l’œil de Dieu, qui le poursuit jusque dans la tombe où il s'enterre).
En plus de la psychothérapie, qui coûte très cher à l’État, et dont la démarche peut se résumer en celle d'une introspection, qui, bien qu'elle soit certainement nécessaire, s'avère toujours insuffisante, puisqu'elle n'aboutit jamais à une guérison, mais plutôt à une résignation de la part du patient (selon le mot d'ordre des psychologues : « Il faut apprendre à vivre avec sa maladie »), la manière de traiter le sujet paranoïaque se limite à lui administrer des médicaments, qui ont pour principale fonction de le rendre somnolant et affamé, pour qu’il dorme et qu’il mange, bref, pour qu’il limite ses préoccupations à des choses très concrètes (notamment au souci universel, chez les psychiatrisés, de maintenir un poids santé), en abandonnant ses idées paranoïaques, taxées de délirantes.
Pourtant, les idées du sujet paranoïaque encapsulent une grande lucidité. Paradoxalement, la déviance de sa pensée est dans l’ordre des choses. Le sujet paranoïaque, d’après ce qu’en dit la psychanalyse, pressent que son monde intérieur n’est pas en règle. Il éprouve un sentiment de culpabilité diffus, qu’il projette sur le monde extérieur, dont il pressent la condamnation. La psychanalyse interprète ce phénomène comme l'issue d'un mécanisme de défense, qui victimise le sujet paranoïaque à partir d’un délire de persécution, alors qu’il pressent en lui-même qu’il n’est pas du tout innocent. La doctrine chrétienne du péché originel affirme que tous les descendants d'Adam se sentent coupables dès qu'ils prennent conscience d'eux-mêmes (et qu'ils sont effectivement coupables) dès qu’ils sont conçus. Suite à son adultère avec Bethsabée, le roi David chante à Dieu sa condition de dépravation originelle :
« Voici, je suis né dans l’iniquité, Et ma mère m’a conçu dans le péché » (Psaume 51 : 5).
Avant même qu'ils aient commis un méfait, la culpabilité habite tous les êtres humains. La psychanalyse affirme même que cette culpabilité diffuse, voire inconsciente, trouve une manière de se soulager dans la conscience des criminels, lorsqu’ils se donnent une raison explicite pour en ressentir le fardeau. D’après la doctrine chrétienne du péché originel, l’être humain n’est pas seulement pécheur parce qu’il transgresse la loi : il transgresse aussi la loi parce qu’il est pécheur. Voici ce qu’affirme l’apôtre Paul dans son épitre la plus importante du Nouveau Testament :
« [… L]e péché, saisissant l’occasion, produisit en moi par le commandement [ : « tu ne convoiteras point, » toutes sortes de convoitises […] » (Romains 7 : 8).
La metanoïa comme remède à la paranoïa
Je suis présentement en processus de sevrage de mes médicaments psychiatriques, avec l’accord de mon psychiatre actuel. Le premier psychiatre qui m’a traité à l’époque de ma crise paranoïaque avait un pronostic beaucoup plus sombre que celui de mon psychiatre actuel : il m’a dit que j’allais prendre des médicaments toute ma vie. Mon psychiatre actuel a eu la bonté d’écouter les explications que vous venez de lire au sujet de la paranoïa, et d’avoir eu les oreilles pour entendre ce que les Écritures enseignent au sujet de la metanoïa. Le mot « metanoïa » se définit étymologiquement par : la pensée (du grec : « noûs », encore une fois) qui va au-delà d’elle-même (du grec : « meta »). Puisque la pensée du sujet est a priori entachée par la culpabilité, elle nécessite, pour la délivrance de la condamnation qu’elle pressent, un mouvement de l’extérieur qui s’implante en elle-même et qui la transcende. La « metanoïa », dans la Écritures, se traduit en français par la repentance. La repentance, c’est le fait d’adapter sa propre pensée à celle de Dieu. Entre autres aspects que la repentance comporte, celle-ci admet ouvertement devant Dieu le fait d’avoir transgressé sa loi. Cet aspect de la repentance ressemble aux circonstances lors desquelles un criminel passe devant le juge et qu’il plaide coupable. Devant le juge, quand un criminel est coupable, son avocat l’avertit de ne pas chercher à se justifier, à rationnaliser, ou à minimiser son méfait : il le convainc de sa culpabilité. Pour ne perdre le temps de personne, quand le criminel est coupable, il plaide coupable. Alors il trouve un terrain d’entente avec le juge : ceux-ci se réconcilient au sujet de la culpabilité de l’inculpé. D’ailleurs, le premier rôle de l’Esprit-Saint (traduit du grec « Parakletos », ce qui veut dire : Avocat), est de convaincre celui qu’il habite de sa culpabilité devant Dieu.
Dans les Écritures, il y a une grande différence entre le fait d’afficher des remords et le fait de se repentir. En référence à un sermon du pasteur Timothy Keller, le fait d’afficher des remords est une tentative stratégique de réhabilitation aux yeux du public, et, chez le criminel, à ses propres yeux, de son image de soi brisée. Les remords qu’un criminel peut afficher partent du principe qu’il était une excellente personne, s’écriant désormais : « mais comment a-t-il été possible que j’aie pu faire une telle chose! ». Les remords sont une tristesse indépassable quant aux conséquences du crime sur l’excellente image de lui-même que le criminel caressait naguère. Si telle est la démarche de réhabilitation du criminel, celle-ci est vouée à un échec victimaire d’une pitié pour lui-même autodestructrice, voire suicidaire. La vraie repentance d’un criminel, quant à elle, ne se surprend pas quant à l’image de lui-même que son méfait lui fait miroiter à ses propres yeux. Cette image que le méfait lui fait miroiter a été révélée il y a 2500 ans dans les Écritures :
« Le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est méchant : Qui peut le connaître? » (Jérémie 17 :9).
La repentance n’est pas une tristesse qui concerne les conséquences du crime quant à l’horrible image de soi-même de laquelle le criminel se surprendrait. La repentance est une tristesse qui concerne l’horreur du péché lui-même, qui représente pour le criminel repentant, une trahison cosmique contre l’autorité de l’Auteur de ses jours. Une fois de plus, suite à son adultère avec Bethsabée, voici comment le roi David chante à Dieu sa repentance :
« J’ai péché contre toi seul, Et j’ai fait ce qui est mal à tes yeux » (Psaume 51 : 4).
Voici comment l’apôtre Paul exprime la différence entre les remords qu’a éprouvés Judas, par exemple, et la repentance de Pierre :
« En effet, la tristesse selon Dieu produit une repentance à salut dont on ne se repent jamais, tandis que la tristesse du monde produit la mort » (2 Corinthiens 7 : 10).
Un cœur repentant est agréable à Dieu, qui pourvoit un pardon pour le criminel qui sait que ses remords autodestructeurs ne pourront jamais expier ses méfaits.
La metanoïa ou la repentance est une première étape pour permettre la délivrance du sujet paranoïaque de la projection de sa culpabilité sur le monde extérieur, dont il pressent la condamnation dans sa conscience. La seconde étape de ma guérison (qui recoupe celle de la repentance, puisqu’il s’agit encore là d’adapter sa propre pensée à celle de Dieu), a été de croire à l’Évangile, comme le veut le slogan salvifique : Repent and believe the Gospel!
En plus du sentiment envahissant d’être condamné quoi qu’il fasse, le sujet paranoïaque a pour tare de croire à toutes les suggestions de sa propre pensée. Dans le symptôme psychique appelé « manie de référence », le sujet paranoïaque, qui est, et comme chacun l'est effectivement, au centre de ses perceptions, se croit au centre de l’univers. Il devient, à ses propres yeux, une sorte de sujet absolu et souverain, comme dans l’expérience de pensée du philosophe idéaliste Berkeley (ou encore comme chez André Moreau), où le monde extérieur n’est qu’une représentation issue de l'esprit du sujet – une sorte d’hologramme (le meilleur argument contre ce genre d'élucubrations, c'est de gifler le solipsiste : je le déconseille). Combinés aux médicaments qui l’alourdissent, les murs de l'hôpital psychiatrique, entre lesquels le sujet paranoïaque aboutit très souvent, agissent eux-mêmes pour lui comme une gifle, en ce que la marge de manœuvre du malade, naguère dans l'exaltation de la pensée grandiose de sa propre souveraineté sur le monde extérieur, est significativement réduite par la densité implacable du réel, qui se définit chez Lacan par « ce contre quoi le sujet se cogne » (je paraphrase). Sans l'épreuve du réel, le sujet paranoïaque est, à ses propres yeux, dans la situation du protagoniste du film The Truman Show : tout son environnement ne lui sert que de décor, qui agit en fonction de ses propres désirs contradictoires. S’il voit un panneau publicitaire où il est écrit : « You doing great! », il s’imagine, en dépit des protestations de sa conscience, qu’il est sur la bonne voie. Cela crée, chez le sujet paranoïaque, le comportement de désorientation qu’on lui reconnaît, à la merci des panneaux publicitaires, qui valident ses convoitises, et à celle de sa conscience, qui le condamne. Les doctrines occultistes de la « manifestation » ou de la « loi de l'attraction » affirment les mêmes idées, notamment dans le livre Le Secret, qui ne recèle plus de secrets pour personne, puisque cet ouvrage a été un bestseller. Voici le propos global qu’il contient : « Ne pensez pas en termes de doubles négations parce que l’univers va vous envoyer des expériences négatives ». Par exemple, si vous vous dites que vous ne voulez pas être coincés dans le trafic, l'univers va vous coincer dans le trafic. Vous devriez plutôt vous dire que vous voulez que la route soit fluide, pour qu'elle le soit.
Certaines églises se sont appropriées ce faux enseignement. Elles attribuent à la prière, par la profération d'un souhait, une toute-puissance capable d'influencer Dieu, comme s'il était le génie d'une lampe magique. C’est à partir du verset suivant qu’ils élaborent ce faux enseignement :
« La mort et la vie sont au pouvoir de la langue ; Quiconque l’aime en mangera les fruits » (Proverbes 18 : 21).
Pourtant, la vraie prière n'a rien de magique. Même lors d'une supplication, la personne qui prie en esprit et en vérité adapte toujours ses désirs et ses affections (dans un esprit de repentance) à la volonté souveraine de Dieu.
Voici comment Christ exemplifie la prière :
« [Q]ue ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » (Matthieu 6 : 10).
Avant d'avoir été livré pour sa mise à mort, Jésus-Christ, qui savait très bien et depuis toujours ce qui l'attendait (à partir de son omniscience divine), a prié son Père céleste de cette manière (à partir de sa vulnérabilité humaine) :
« […] Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne » (Luc 22 : 42).
La vraie prière transforme les désirs et les affections de celui qui prie, pour que sa prière se confonde avec les décrets divins. Certaines personnes pourraient argumenter à cela : pourquoi prier alors? Je répondrai premièrement : parce que Dieu nous le commande.
« Faites en tout temps par l'Esprit toutes sortes de prières et de supplications. Veillez à cela avec une entière persévérance, et priez pour tous les saints » (Éphésiens 6 : 18).
Deuxièmement : parce que la prière devient une seconde nature chez le croyant, qui, même quand il ne trouve pas les mots exacts pour prier, est rempli par l'Esprit-Saint, qui intercède sans cesse en sa faveur.
« […] L'Esprit nous aide dans notre faiblesse, car nous ne savons pas ce qu'il nous convient de demander dans nos prières. Mais l'Esprit lui-même intercède par des soupirs inexprimables » (Romains 8 : 26).
Troisièmement : parce que Dieu le Père Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, offre le privilège au croyant, par la médiation de son Fils bien-aimé, de lui accorder une audience, dans le cadre d'une relation intime. Si ce n'était pas vrai, je me dirais que c'est trop beau pour être vrai!
« Approchons-nous donc avec assurance du trône de grâce, afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus dans nos besoins » (Hébreux 4 : 16),
Parenthèse
En référence à une des réflexions du philosophe chrétien James K. A. Smith, j'aimerais indiquer, en un long parallèle, que le téléphone intelligent, d'après la conception du génie éthiquement discutable de Steve Jobs, agit presque comme un inducteur de manie de référence, même chez les gens les plus fonctionnels de la société. Le meilleur exemple de cela s’exprime dans l’usage que propose l’application Tinder, où le monde entier s'offre en une représentation bidimensionnelle à la portée de chacun, et où chacun est invité à choisir souverainement de swipe à droite ce qui lui plaît, et de swipe à gauche ce qui lui déplaît. Cette liturgie, transposée dans le monde tridimensionnel de la vie de tous les jours, a pour conséquence de susciter, chez le citoyen lambda, une intolérance viscérale face à l’adversité ou face à tout ce qui lui déplaît, que le sujet aimerait bien souverainement swipe à gauche, s'il le pouvait. L'algorithme des réseaux sociaux tels que Facebook, agit lui aussi comme une chambre d'écho, où l'intelligence artificielle interprète les désirs et les affections du sujet qui y participe, et réduit significativement l'expérience recherchée sur ces sites a du contenu qui ne fait que valider ces désirs et ces affections, sans jamais les confronter à d'autres points de vue. Si ce phénomène claustrophobique n'induit pas une manie de référence à proprement parler, elle suscite certainement une sorte de régression au stade infantile, selon ce que pourrait en dire la psychanalyse, quand elle affirme que le nourrisson, dès lors qu'il ne perçoit plus la présence de sa mère, lorsqu'elle est occupée à autre chose qu'à ses soins, s'imagine tout simplement, par esprit de vengeance contre celle de qui il se sent abandonné, qu'elle a cessé d'exister.
Le problème principal avec le phénomène qu’induit le téléphone intelligent réside dans le fait que les désirs et les affections du sujet, quand celui-ci est exposé à l'algorithme qui les valide sans cesse, ne font jamais l'objet d'une discrimination entre ce qui peut être des désirs et des affections légitimes, et ce que les Écritures appellent : des convoitises. Parce que l'algorithme apparaît comme une force impersonnelle et neutre, sans biais idéologiques, celui-ci implique la prétention tacite de ne poser aucun jugement de valeur sur ce que désire et sur ce qu’affectionne le sujet qui s'y expose. James K. A. Smith, dans sa large définition de la liturgie, indique pourtant que tout ce que fait le sujet lui fait quelque chose en retour. En d'autres mots : ce à quoi le sujet s'expose, s'impose à lui. Le sujet, par son exposition répétée à du contenu qui validerait possiblement ses convoitises, renforce ses désirs et ses affections pour ces convoitises. Dans les Écritures, quand celui qui convoite se trouve validé quant à ses convoitises, il est considéré comme étant, souvent à son insu, sous le jugement divin - abandonné moralement, livré par Dieu à lui-même :
« C'est pourquoi Dieu les a livrés à l'impureté, selon les convoitises de leurs cœurs ; en sorte qu'ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps » (Romains 1 : 24).
On a qu'à penser, à partir de ce verset, au fléau individuel et social que représente la pornographie, accessible à tous en un seul clic et banalisée par la législation canadienne qui la permet. Les algorithmes des réseaux sociaux, dont ceux des sites pornographiques, dans leur prétention à la neutralité idéologique, manquent de transparence quant à leurs fondements éthiques. L'idéologie de ceux qui ont bâti les algorithmes de ces sites est universellement libérale. Comme le dit le philosophe-clown Slavoj Žižek, ce qui est permis est tacitement encouragé.
Les Écritures ont ceci d'unique, parmi tous les autres discours disponibles, qu'elles ne sont pas une marchandise (je ne parle pas des Bibles physiques, mais bien de ce que leur contenu véhicule - la loi implacable de Dieu, qui ne se négocie nullement, et sa grâce infinie, qui ne se marchande pas, puisqu'elle est donnée gratuitement au croyant, par le sacrifice de Christ). Les Écritures n'usent pas de stratégie de marketing envers la personne qui s'y plonge. Elles humilient l'être humain, incapable d’en respecter les commandements et qui, pour cette raison, a toutes les raisons du monde de désespérer, en dehors de l’espérance en la grâce qui lui est réservée, si Dieu lui permet de croire. Les Écritures exaltent Dieu, qui impose ses préceptes implacables, et donne son amour inconditionnel à celui qui se l’approprie par la foi. Les Écritures affirment au lecteur qui y prête foi : tu es ignoble, mais tu es aimé. Ce message contient une double humiliation pour le lecteur : la première, au sujet de son ignominie ; la seconde, au sujet de l’amour donné sans condition, qui place le lecteur dans une position de pure réceptivité, non méritante, et sans la possibilité de ne rien donner à Dieu d’autre en retour que sa gratitude. Les Écritures ne sont pas difficiles à comprendre : elles sont difficiles à avaler. La Bible n'est pas un objet de consommation. La personne qui s'y plonge ne s'en sort pas indemne, mais écorchée et transformée. Comme pour ce qui en est chez celui qui prie, le lecteur des Écritures est appelé à transformer ses désirs et ses affections (encore une fois, dans un esprit de repentance) selon la volonté souveraine de Dieu, plutôt qu'à tenter d'influencer Dieu magiquement pour le faire plier à ses désirs et à ses affections. Celui qui prie parle à Dieu. Celui qui lit les Écritures écoute Dieu lui parler.
Le nom d'Israël évoque la lutte du patriarche Jacob, confronté à l'ange du Seigneur :
« Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, cet homme le frappa à l'emboîture de la hanche ; et l'emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit : Laisse-moi aller, car l'aurore se lève. Et Jacob répondit : Je ne te laisserai point aller, que tu ne m'aies béni. Il lui dit : Quel est ton nom ? Et il répondit Jacob. Il dit encore : ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur. Jacob l'interrogea, en disant : Fais-moi je te prie, connaître ton nom. Il répondit : Pourquoi demandes-tu mon nom ? Et il le bénit là » (Genèse 32 : 24-29).
Ce passage de la Genèse illustre bien que pour que la légitimité des désirs et des affections d'un sujet soit approuvée (en l'occurrence, pour que Jacob soit béni), celui-ci doit passer par un crible traumatique, un processus de confrontation qui l’engage existentiellement et entièrement. Si le sujet survit à cette confrontation, il est alors muni d'une nouvelle identité pour le restant de ses jours. C'est le sens de la victoire de Jacob sur l'ange du Seigneur. Non pas qu'il ait été plus fort que Dieu, mais il a survécu à une lutte qui aurait pu lui être fatale : il est devenu Israël. C'est aussi la manière avec laquelle fonctionne la science, dont l'éthique d'intégrité toute biblique, et évocatrice de l'intégrité physique du Christ ressuscité, exige, pour condition de validation de ses hypothèses, la possibilité, voire la tentative acharnée et sans merci, que ces hypothèses soient falsifiées, afin que la vérité émerge.
« […] Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi » (Jean 14 : 6).
Croire à l'Évangile
Dans mon processus de repentance, qui, je le rappelle, consiste en l’adaptation de la pensée du croyant à celle de Dieu, il a été absolument crucial, pour la guérison de mes symptômes psychiques, d'adhérer à une source de vérité objective, extérieure à moi-même. Les Écritures, qui peuvent satisfaire le besoin de mystère, de surnaturel et d’émerveillement qu'éprouve, comme tout le monde, le sujet paranoïaque, lui offrent aussi une orientation vitale pour qu’il puisse transformer ses désirs et ses affections au service de Dieu et de son prochain, plutôt que dans un incessant souci claustrophobique et nombriliste de gratification personnelle, au dépend des autres. Sans abandonner l’idée de l’absolu, à laquelle le sujet paranoïaque peut être très attaché, celui-ci ne place plus cet absolu dans sa propre subjectivité. Il le reconnaît là où il est : à l’extérieur de lui-même, en Dieu, le seul vrai souverain de l'univers. Le fait de se repentir et de croire en l’Évangile demande un renoncement à soi-même, à sa petite opinion, à son originalité mal placée, à sa gloriole, et à ses désirs claustrophobiques et nombrilistes de gratification personnelle, au dépend des autres. J’ai souvent remarqué que les gens qui vivent une vie réputée conventionnelle tiennent mordicus à affirmer leur différence (sous peine de sommer leur entourage qui les remet en question de disparaître de leur champ de vision), alors que les personnes les plus marginalisées n’ont qu’un seul souhait : rejoindre le troupeau. C'est quand le sujet arrête d'essayer d'affirmer son originalité à tout prix qu'il devient vraiment original, c'est-à-dire : connecté à son origine.
« Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera » (Marc 8 : 35).
Je précise ceci : l'entrée en conformité, que l'identité en Christ confère à ses adorateurs, n'efface pas les différences de personnalités et de talents des membres de son Église. Le christianisme n'a rien à voir avec une sorte de régime communiste, où toutes les habitations sont teintes du même gris. Au contraire, bien que tous soient appelés à chanter les louanges de Dieu d'une même voix, chacun le fait avec les dons qui lui sont propres. La mise en commun des membres de l’Église n'efface pas leur diversité : on a qu'à penser à l'alimentation, où chaque légume, avec sa couleur et sa saveur, peut s'agencer en une délicieuse ratatouille. Dieu n'a pas été avare dans la création de la nature. Au contraire, elle surabonde de richesses. Dieu aime son peuple. Il sait que son peuple aime la variété. Il le veut foisonnant de fécondité : uni au rhizome, mais divers dans ses productions potagères.
« Il y a diversité de dons, mais le même Esprit ; diversité de ministères, mais le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais le même Dieu qui opère tout en tous » (1 Corinthiens 12 : 4-6).
Ce qu'il y a d'encore plus extraordinaire, c'est que les dons de chacun des membres de l'Église ne sont pas censés être autoproclamés. Ils sont toujours reconnus d'abord par les autres membres de la communauté, sans esprit de compétition ni de jalousie. Le critère de validité du don de celui qui l'a reçu est le suivant : ce don glorifie-t-il Christ, ou bien ce don glorifie-t-il la personne à qui il a été donné? Il serait, par ailleurs, bien étrange de se glorifier soi-même pour quelque chose qui a été reçu.
« Car qui est-ce qui te distingue? Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifies-tu, comme si tu ne l'avais pas reçu? » (1 Corinthiens 4 : 7).
Le fait de fréquenter une assemblée solidement enracinée dans les Écritures offre aussi un cadre communautaire structuré, à l'intérieur duquel le sujet, anciennement paranoïaque, peut désormais trouver des frères et des sœurs qui l'encouragent, mais aussi qui le confrontent, l'exhortent, voire le disciplinent, quand ses désirs et ses affections ne sont pas alignés selon l’orthodoxie et l’orthopraxie qu’exigent les Écritures - avec l'amour de chacun, bien sûr, qui reconnait que nul n’est parfait, et que tous ont du chemin à parcourir.
« Celui qui se tient à l'écart cherche ce qui lui plaît, Il s'irrite contre tout ce qui est sage » (Proverbes 18 : 1).
« N'abandonnons pas notre assemblée, comme c'est la coutume de quelques-uns ; mais exhortons-nous réciproquement, et cela d'autant plus que vous voyez s'approcher le jour » (Hébreux 10 : 25).
« Toute Écriture est inspirée de Dieu, et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la justice » (2 Timothée 3 : 16).
À la sortie de mon séjour à l’hôpital, je souffrais du fait que tout ce qui, par le passé, faisait illusoirement de moi une personne qui avait acquis de la signification à mes propres yeux s’était écroulé comme un château de cartes. Malheureusement, je ne comprenais toujours pas alors que ce désir d’être significatif ne pouvait être comblé que par l’amour que Dieu me réservait depuis toujours. J’avais perdu ma réputation, mon statut social, ma beauté physique et j’en passe. Pour compenser cela, je me suis inscrit à l’université en littérature, dans une tentative de me redorer de blasons de significativité, en espérant absolument tout de la reconnaissance académique quant à mes facultés intellectuelles. Cet épisode fut instructif à plusieurs égards, et enrichissant quant aux contacts humains que j’y ai expérimentés : je n'ai pas le luxe de m’alourdir de regrets. En dépit du fait que j’ai complété un diplôme de maîtrise avec une mention d’excellence, je travaille actuellement en entretien ménager. Je ne me considère pas nécessairement surqualifié pour le domaine, puisque pendant que je lave des salles d’eau à la gloire de Dieu, je peux écouter la Bible en audio, des podcasts et des prédications pastorales dans mes écouteurs, ce qui fait que pour la modique somme d’un abonnement Premium à Spotify, pendant que je rembourse mes dettes d’étude, je n’ai jamais été autant stimulé intellectuellement de toute ma vie. Pourtant, cet accroissement exponentiel de mes facultés intellectuelles n’est certainement pas ce qui m’importe le plus. Ce qui est absolument crucial, c’est que ces facultés intellectuelles n’ont plus le rôle, comme avant, de me rendre significatif. J’ai la ferme conviction que même si j’étais frappé de démence, je serais aimé de Dieu tout autant. Ce qui est absolument crucial, c’est que mon travail d’entretien ménager ne soit pas non plus vécu comme la pénitence de quelqu’un qui doit se résigner à nettoyer des surfaces, comme dans un sacrement catholique d’un moine qui lave son âme. Personne ne peux expier ses propres fautes : ni les mamans, par leur maternité, ni les amoureux, par leur conjugalité, ni les fils et les filles, par leur filialité, ni les travailleurs, par leur labeur, ni les étudiants, par leurs baccalauréat, maîtrise ou doctorat, ni les catholiques, par leurs observances sacramentelles, ni les musulmans, par leurs ablutions, jeûnes, pèlerinages, abstinences et prières, ni les juifs, par leurs séparations légaliste des aliments et des textiles, ni les yogi, par leurs contorsions et leur végétalisme, ni les bouddhistes, par leurs méditations et leurs actes de compassions. Tout ce beau monde veut nettoyer sa souillure morale, mais rien de tout cela ne le permet. Rien d’autre que le sang de Christ peut laver l’iniquité du coupable. Toute tentative de se laver soi-même est vaine. Cela ne signifie pas que la maternité, la conjugalité, la filialité, les œuvres, les études, et la piété soient de mauvaises choses en elles-mêmes. Cela signifie que pour qu’elles soient vécues de la bonne manière, et non pas comme des sources inadéquates de rédemption, elles doivent être considérées comme des sous-produits à une conviction fondamentale : celle qu’en dépit du fait que l’être humain est en faillite morale absolue, le sacrifice de Christ est suffisant pour lui donner toute la signification dont il a besoin, afin qu’il ne fasse pas dépendre sa signification des différents rôles qu'il s'attribue, dont les circonstances de la vie peuvent le priver à tout moment. Faire dépendre sa rédemption et sa signification de sa maternité, c’est charger injustement son enfant d’un fardeau impossible à soutenir. Faire dépendre sa rédemption et sa signification de son travail, c’est se mettre en danger, au jour funeste du licenciement. Au contraire, chacun risque d’être un meilleur parent ou un meilleur employé s’il accomplit ces rôles avec la décontraction de celui dont la rédemption et la signification n’en dépend pas, mais dépend entièrement de ce que Christ a accompli sur la croix.
« Cependant, ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis; mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux » (Luc 10 : 20).
« Qui nous séparera de l’amour de Christ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée? » (Romains 8 : 35).
Je remercie Dieu pour mon travail en entretien ménager, qui m’offre la possibilité, en plus de gagner ma vie sans l’assistance financière de mes parents, de rythmer ma semaine dans une routine stable et d’accomplir une tâche simple, au mieux de mes facultés, à partir de laquelle je fais une vraie différence pour les gens qui utilisent les installations que je lave. L’idéologie marxiste perçoit une injustice au salariat. Elle prétend que ceux qui détiennent les moyens de productions exploitent la force de travail de leurs employés. Cela suppose que cette force de travail appartienne en propre aux employés ; qu’elle est une force auto-générée, dont les employés seraient les propriétaires. Or, cette force de travail a été prêtée aux employés, comme tout le reste : ils en sont les intendants, et ils devront un jour en rendre des comptes. Lorsqu’ils étaient bébés, les futurs employés ont tété, au sein de leur mère, le lait qui a permis leur développement physique, pour gagner en force de travail. Comme le dit quelque part Saint-Augustin : « Tout est grâce ». Tout nous a été donné gratuitement, y compris notre force de travail. Le travail, en soi, n’est pas une malédiction : avant la chute, Dieu a chargé Adam de l’intendance du jardin d’Eden. Le pasteur Voodie Baucham affirme qu’après la chute, ce qui fut une malédiction, c’est l’attitude que l’être humain a adopté face au travail : le fait de devoir aller travailler, sans vouloir aller travailler. La restauration de l’être humain, que permet la rédemption en Christ, réconcilie son devoir et son vouloir. Dans son processus de repentance, encore une fois, les désirs et les affections de l’être humain s’adaptent graduellement à la volonté divine, dont celle qui a chargé Adam de l’intendance du jardin d’Eden.
« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes? » (1 Corinthiens 6 : 19).
« L’Éternel Dieu prit l’homme, et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder » (Genèse 2 : 15).
Cette réflexion a convaincu mon psychiatre de me sevrer peu à peu de mes médicaments psychiatriques. Ce qui m’enchante, c’est que ce sevrage s'effectue selon les règles de l’art, avec l’accord des autorités médicales que Dieu, dans son infinie sagesse, et pour sa gloire, a cru bon de placer sur ma tête. Ces médicaments sont très puissants, et il est crucial de ne jamais improviser un sevrage. Il faut développer une alliance thérapeutique avec son psychiatre, pour que la confiance mutuelle permette un jour cette délivrance, par la grâce de Dieu!
« Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu » (Romains 13 : 1).
Seul le nom de Jésus est assez puissant pour humilier le cœur d’un psychiatre, dont la vision du monde matérialiste l’incite plus souvent qu’autrement à augmenter la dose de médicaments, lorsqu’un de ses patients tient un discours spirituel.
L'alliance thérapeutique que mon psychiatre et moi-même avons établie, par la médiation de Christ, a quelque chose d'eschatologique. J'entends par là qu'elle révèle de facto un état de fait juridique : la seigneurie de Christ. L'apôtre Paul écrit au sujet de Christ :
« C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Philippiens 2 : 9-11).
La présence de Christ, qui médiatise l'alliance thérapeutique que mon psychiatre et moi-même avons établie (je ne dis pas par-là qu'il a été converti pour autant), permet d'éviter deux pièges. D'une part, à l'extrême droite du spectre thérapeutique, l'autorité conservatrice du psychiatre l'incite plus souvent qu'autrement à rejeter brutalement du revers de la main ce que le sujet paranoïaque a expérimenté dans sa chair, en lui disant de prendre ses médicaments, d'oublier ce qu'il a vécu et d'aller prendre un café chez Tim Horton's. Or, comme je l'ai indiqué au début de mon article, le sujet paranoïaque, lorsqu'il se sent condamné en raison de la culpabilité originelle qui l'habite, encapsule une grande lucidité dans sa conscience quant à cette condamnation. Cette lucidité quant à sa condamnation est fort à propos, puisque la Bible enseigne qu'à l'extérieur de la grâce de Dieu, par la médiation du sacrifice de Christ, tous sont effectivement condamnés :
« Celui qui croit au Fils n'est pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu'il n'a pas cru au Fils unique de Dieu » (Jean 3 : 18).
Le sujet paranoïaque souffre donc, à proprement parler, du syndrome de Cassandre, dont le récit met en scène une troyenne, Cassandre, qui, avant la guerre Troie contre les Grecs, prophétisait la catastrophe nationale, alors que personne ne la prenait au sérieux. La suite du récit lui a donné raison.
D'autre part, à l'extrême gauche du spectre thérapeutique, un courant alternatif à la psychiatrie traditionnelle, influencé par une certaine idéologie féministe et par la psychologie dite du care, va chercher à remettre radicalement en question la distinction entre le sain et le pathologique, notamment en transformant le langage psychiatrique, pour éviter la stigmatisation que peut, par exemple, conférer au patient le diagnostic de schizophrénie, pour le remplacer par celui plus affectueux de la condition considérée désormais normale de « ceux qui entendent des voix ». Je ne crois pas que cette approche, en dépit des intentions bienveillantes qu'elle affiche, vienne ultimement en aide à quiconque. Si l'approche autoritaire et conservatrice de la psychiatrie traditionnelle ne prend pas au sérieux, alors qu'elle le devrait, ce que le sujet paranoïaque ressent quant aux suggestions condamnatoires de ses voix, la réaction inverse, dans laquelle le sujet paranoïaque peut se camper, avec l'aide d'une approche alternative à la psychiatrie traditionnelle, serait de s'accrocher à sa pathologie comme à une identité qui le distingue, qui le définit, voire qui peut devenir pour lui une source de fierté. Dans une entrevue que j’ai vue sur le sujet, un « entendeur de voix » affirmait que plutôt que de se faire demander par un clinicien intimidant de la psychiatrie traditionnelle : « Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez vous? », il s’est bienveillamment fait demander par un psychologue du care : « Que vous est-il arrivé? » Cette approche tend à infantiliser la personne aux prises avec des voix, en le victimisant par rapport aux circonstances de son environnement, sans jamais lui faire miroiter qu’il est appelé à devenir un agent responsable, en dépit de l’abus que son environnement a pu lui faire subir. L'approche psychologique du care dorlote la personne qui, par exemple, entend des voix, jusqu'à lui attribuer parfois des dons chamaniques, ce qui revient à encenser la possession d'esprits mauvais (les voix de celui qui les entend sont rarement bienveillantes, et même lorsqu'elles semblent l'être, c'est bien souvent pour le valider mensongèrement quant à ses convoitises). Cette approche alternative à la psychiatrie traditionnelle a cela de bon qu'elle accorde une réalité au phénomène surnaturel des voix que le sujet paranoïaque expérimente dans sa chair, mais la psychiatrie traditionnelle a aussi quelque chose de bon : ses valeurs morales conservatrices. Le discours chrétien allie l'amour compatissant, mais sans colonne vertébrale, de l'approche psychologique du care, et l'exigence morale autoritaire et conservatrice, mais trop brutale, de la psychiatrie traditionnelle. Les Écritures contiennent à la fois l'implacable loi de Dieu et son amour infini, par le don de grâce médiatisé par le sacrifice de Christ. Entre la thèse de la psychiatrie traditionnelle, autoritaire et moralement conservatrice, et l'antithèse de l'approche alternative à la psychiatrie, influencée par la psychologique du care, Christ est la synthèse, selon ce que les Écritures admettent : la fin de l'histoire.
« Je suis l'alpha et l'oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin » (Apocalypse 22 : 13).
Le christianisme se fonde sur deux réalités qui peuvent paraître à première vue contradictoires : le critère moral de perfection que Dieu exige, et son amour infini. La loi de Dieu exige la perfection et la transgression de cette loi demande une juste rétribution. L'amour de Dieu, manifesté par son don de grâce (définit étymologiquement du grec par « charis », d'où le mot anglais « care » tire justement lui-même son origine), vient à la rescousse du transgresseur de la loi divine, par le pardon (dont on peut analyser la définition « par le don »). Voici un passage de l’Ancien Testament, qui contient déjà l’Évangile, et qui marque bien ce paradoxe, qui n'est toutefois pas une contradiction :
« Et l'Éternel passa devant [Moïse], et s'écria : L'Éternel, l'Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, qui conserve son amour jusqu'à mille générations, qui pardonne l'iniquité, la rébellion et le péché, mais qui ne tient point le coupable pour innocent, et qui punit l'iniquité des pères sur les enfants et sur les enfants des enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération! » (Exode 34 : 7).
La justice de Dieu exige que toute transgression soit légitimement punie. Son amour infini est aussi censé pardonner les transgressions. Le sacrifice expiatoire de Christ, qui a absorbé la rétribution des transgressions de ceux qui ont foi en Lui, pour le pardon de leurs péchés, embrasse cette contradiction apparente, au sommet de l'histoire de l'humanité (qui est la crucifixion elle-même, lors de laquelle Christ avait effectivement les bras grands ouverts pour embrasser le paradoxe), entre l'exigence de rétribution des transgressions à la loi divine et l'amour infini de Dieu. Cette vérité, certes paradoxale, mais non plus contradictoire, ne peut être appréhendée par le croyant que par la compréhension que l'Esprit-Saint lui confère. Sans l’Esprit-Saint, Dieu est considéré par les légalistes comme trop juste pour pardonner le pécheur, et par les libéraux comme trop aimants pour punir les coupables. L’Esprit-Saint rend témoignage que la justice absolue et l’amour infini de Dieu se réconcilient à la croix. Le croyant peut alors s'approprier cette vérité au quotidien, dans une paix d’esprit que seule rend possible une conscience purifiée. Une des raisons pour laquelle je prête foi à cette vérité, c'est qu'un simple être humain, avec sa tendance naturelle à se condamner et à valider tour à tour ses convoitises, n'aurait pas pu en construire l'échafaudage discursif. Cette vérité a été révélée par Dieu durant toute la durée de la composition des Écritures, aux prophètes d'abord, qui ne se sont pas consultés entre eux, puis aux apôtres, à quarante écrivains en tout, dans les 66 livres du canon biblique, écrits dans trois continents différents, sur plus de deux millénaires d'histoire. De la Genèse à l’Apocalypse, le message biblique est un tout cohérent, dont la croix révèle le sens ultime.
Le don de l'Esprit-Saint, par ce que les Écritures appellent : le renouvellement de l'intelligence, qu'elles permettent à leur fréquentation, peut susciter de l'espoir chez le sujet paranoïaque quant à la délivrance de ses voix (ou du moins de l'influence hostile et mensongère des suggestions de ses voix, qui le désorientent, entre les tourments condamnatoires de sa conscience et la validation de ses convoitises). L'Esprit-Saint incite désormais le croyant, naguère paranoïaque, mais dès lors pardonné inconditionnellement, une fois pour toute et en processus de sanctification, à s'exposer à la Parole de Dieu, au contact des Écritures. L'Esprit-Saint (traduit du grec « Parakletos », ce qui veut dire, tel que déjà mentionné plus haut : l’Avocat) prendra le dessus sur l'influence néfaste des voix. En dépit de ses voix hostiles et mensongères, et donc, même si elles sont toujours présentes, le croyant, par sa fréquentation renouvelée des Écritures, peut s'appuyer avec assurance sur la vérité de la grâce inconditionnelle que Dieu a réservée pour lui, par l’absorption de la rétribution de ses transgressions par Christ sur la croix. Le croyant peut soumettre ses désirs, ses intérêts et sa conduite aux exigences que contient cette vérité, dans une relation intime et privilégiée de sujet à Souverain, plutôt que d'être soumis aux suggestions hostiles et mensongères de ses voix.
« [C]ar si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur, et il connaît toutes choses » (1 Jean 3 : 20).
« Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l'intelligence, afin que vous discerniez qu'elle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Romains 12 : 2).
Au centre du spectre thérapeutique, Christ est à la fois Seigneur (moralement conservateur) et Sauveur (plein d'amour compatissant). Dès lors, la sanctification du croyant sauvé par la grâce ne consiste pas à chercher à mériter le pardon de Dieu pour ses offenses, puisque ses offenses sont déjà pardonnées. Du fait de ce pardon, le croyant sauvé par la grâce cherche à se conformer à la loi de Dieu, à la mesure de ses capacités imparfaites, par gratitude et par amour pour Celui qui l’a aimé en premier :
« […] Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Christ est mort pour nous » (Romains 5 : 8).
« La crainte n'est pas dans l'amour, mais l'amour parfait bannit la crainte ; car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n'est pas parfait dans l'amour » (1 Jean 4 : 18).
Cette relation d'amour du croyant envers Dieu, initiée par l'amour de Dieu sur le croyant, se métaphorise dans la vie quotidienne de manière très concrète. Ainsi, toute personne le moindrement sensible, qu’elle soit croyante ou non, n'entre pas en relation avec son père biologique parce que si elle ne le fait pas, elle va se sentir coupable : ce serait un motif extrêmement insultant pour son père, s'il venait à le savoir. Le commun des mortels entre en relation avec son père biologique parce qu'il l'aime, tout simplement. Pourquoi aime-t-il son père biologique? Parce que son père biologique l'a aimé en premier.
Conclusion
Le sentiment de grandiosité qui caractérise la pensée du sujet paranoïaque n'est pas en soi problématique. L'être humain, tel que conçu par Dieu avant la chute d'Adam, était investi d'une mission grandiose : celle de dominer, pour la gloire de Dieu, le domaine de la création, dont il était chargé de l'intendance. Le concept de « domination » peut faire peur à première vue. Pour la défense de cette notion, j’aimerais dire que même dans les cercles anarchistes, féministes ou écologistes, la domination se manifeste toujours, seulement de manière plus ou moins subtile. Je préfère nettement une domination reconnue pour telle, donc transparente quant à son exercice, qu’un mode de domination qui prétend qu’il n’en est pas un.
Plutôt que de dominer la création de manière responsable donc, sous l'ordre que Dieu avait instauré, Adam s'est soumis à cette création : c'est-à-dire au diable, qui a lui-même été créé, et qui lui a fait croire qu'un autre ordre que celui que Dieu avait instauré était préférable à celui du plan originel. En tentant de s'élever au-dessus de Dieu, Adam s'est soumis au diable. En tentant de s’exalter lui-même, Adam s’est déshonoré. Or, ce qui doit être remis en question n'est pas l'exaltation tout court. L'Évangile, qui a le pouvoir rédempteur de restaurer l'ordre originel que Dieu avait instauré, par la grâce que reçoit le croyant qui place son espoir de salut en l'efficacité rédemptrice du sacrifice de Christ, se définit étymologiquement du grec par le préfixe « eu », qui marque l'euphorie, et « angelion », qui évoque l'ange du Seigneur, qui en est le messager. L’Évangile est littéralement un message qui provoque l'euphorie, décrit plus couramment par la Bonne Nouvelle. Ce qui doit être remis en cause, c'est CELUI qui doit être exalté. Le sujet paranoïaque, dans son nombrilisme exacerbé, s'exalte lui-même au dépend de son entourage, qu'il va jusqu'à frapper d'inexistence. En cela, son symptôme psychique revêt une dimension morale dont il est entièrement responsable : un orgueil suprême. L'humiliation du sujet paranoïaque est nécessaire (en ceci, je reconnais après coup que mon passage au travers du tordeur du système psychiatrique fut une grâce providentielle venue d'en haut, et non, tel que ça m'apparaissait sur le coup, une condamnation), afin qu'il puisse reconnaître la grandiosité de la vraie mission dont il est investi sur terre : l'exaltation de Dieu et son intendance responsable sur la création, pour Sa gloire.
C'est ce que j'ai tenté, avec ma plus belle plume, de faire valoir dans le présent témoignage. Cette plume, de par sa qualité formelle, m'induit en tentation de me glorifier moi-même. En même temps, si telle n'a peut-être pas été mon intention fondamentale à l'écriture de ce texte, mais une conséquence qui monte en moi par réflexe, comme de la moutarde à mon nez, je me dis avec Saint-Augustin que je ne vais pas faire exprès d'écrire mal pour éviter de me glorifier d'écrire bien : ce serait mépriser le don que j'ai reçu, or la fausse modestie, c’est le comble de l'orgueil. D'autant plus que c'est mon père qui a financé mes études universitaires.
À la suite de l'écriture de ce témoignage, j'ai fait un rêve. Dans ce rêve, mon ancien moi se tenait en face de moi-même. Il semblait méfiant, voire effrayé. Il avait des traits typiques aux patients qui souffrent de schizophrénie quand ils sont sous médication : une posture ployée, de l’embonpoint et une allure généralement négligée. Je lui ai tendu la main, et après quelques secondes d'hésitation, il l'a empoignée avec grand enthousiasme! Je me suis immédiatement réveillé en sursaut. Sur l'horloge de ma cuisinière, il était 11:11 du soir (il s'agit d'un lieu commun cher à la pseudo spiritualité des occultistes : ils appellent l'apparition de ce chiffre un « angel number »). Si j'étais demeuré dans l'état psychique de ma crise paranoïaque passée, ce signe aurait été interprété comme une confirmation validant (au même titre que les panneaux publicitaires mentionnés au début de mon article) que je suis sur la bonne voie, dans ce cas-ci, il s'agirait d'un signe qui confirmerait ma guérison. Pourtant, suite à cet événement, j'ai éclaté de rire (je l'avoue, après qu'un frisson de crainte eut parcouru mon échine, me disant sur le coup : « Oh non! Ça recommence! »). Après réflexion, je me suis laissé convaincre par l'Esprit-Saint que je n'ai pas besoin de signes pour croire à ce que les Écritures affirment au sujet de ma guérison. Ce que les Écritures révèlent à ce sujet me suffit amplement. Je raconte cette anecdote parce que je trouve très ironique qu'au moment même où ce genre d'expériences se trouve extrêmement loin de mon champ d’intérêts, je l'expérimente de la manière la plus banale (d'une banalité hurlante) et, en même temps, la plus foudroyante qui soit.
« Les Juifs demandent des miracles [traduit ailleurs par : des signes] et les Grecs cherchent la sagesse : nous, nous prêchons Christ crucifié ; scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1 Corinthiens 1 : 22-23).
« […] Heureux ceux qui n'ont pas vu, et qui ont cru! » (Jean 20 : 29).
« On te chassera du milieu des hommes, tu auras ta demeure avec les bêtes des champs, et l'on te donnera comme aux bœufs de l'herbe à manger ; tu seras trempé de la rosée du ciel, et sept temps passeront sur toi, jusqu'à ce que tu saches que le Très-Haut domine sur le règne des hommes et qu'il le donne à qui il lui plaît » (Daniel 4 : 25).
« L’arrogance précède la ruine, Et l’orgueil précède la chute » (Proverbes 16 : 18).
« Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira » (Jean 8 : 32).
« Je suis le vrai cep, et mon père est le vigneron. Tout sarment qui est en moi et qui ne porte pas de fruit, il le retranche ; et tout sarment qui porte du fruit, il l'émonde, afin qu'il porte encore plus de fruits » (Jean 15 : 1-2).
« Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu » (1 Corinthiens 1 : 18).
« Mais Dieu a choisi les choses folles du monde, pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde, pour confondre les fortes ; et Dieu a choisi les choses viles du monde, et celles qu'on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu » (1 Corinthiens 1 : 27-29).
« Car mes pensées ne sont pas vos pensées, Et vos voies ne sont pas mes voies, Dit l'Éternel » (Ésaïe 55 : 8).
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